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La gestion du temps d’un entrepreneur, une question de management

La métaphore du singe pour comprendre comment mieux travailler

Le temps d’un entrepreneur est précieux, et sa gestion souvent un défi majeur. Je le constate trop souvent avec mes clients entrepreneurs. Entre les urgences, anticipables ou non, les tâches qui vous incombent et les sollicitations naturelles mais sans doute constantes de vos équipes, il est facile de se laisser déborder. Voire d’être le goulet de sa propre organisation (cf. la théorie des contrainte ou TOC).

Nombreuses sont les méthodes de gestion du temps, toutes ont leur pertinence. Trop souvent malheureusement, elles passent à côté d’un problème sous-jacent : celui de l’arbitrage des tâches, entre celles à conserver et celles à ne pas faire. Se cache là une question fondamentale de management, d’autonomie et de délégation de responsabilité des équipes.

Pour clarifier le sujet, je vais vous parler de singe et d’arbre à singes, et commencer par une histoire.

Les singes sur votre épaule

Imaginez la scène : mardi matin, vous arrivez au bureau après un premier rendez-vous extérieur. À peine avez-vous franchi la porte que Mélanie vous arrête dans le couloir pour vous parler d’un incident de production urgent. Vous n’avez pas le temps, mais vous lui promettez d’y réfléchir, après cette réunion de 9h30 qui va démarrer.

À l’entrée dans la salle, Karim vous intercepte car il a un souci avec un client. Faute de temps, vous lui dites que vous passerez le voir pour en parler. Les journées s’enchainent. Toute la semaine, vous allez avoir des interactions similaires, au cours desquelles votre to do va se remplir.

Vendredi après-midi, ceux à qui ne vous avez pas répondu vous relancent, et tout d’un coup Paul débarque : « Vous avez deux secondes ? J’ai un souci sur le projet Saturne. » Vous n’écoutez que d’une oreille, mais en fait, Paul vous a mis une mouche dans le cerveau, qui va tourner dans les jours qui viennent. Votre weekend vous paraît encore loin.
Qu’est-il arrivé ? À chacune de ces interactions, des singes ont sauté des épaules de vos équipes aux vôtres, faisant de vous un arbre à singes.

William Oncken

Le singe est une métaphore que William Oncken, consultant et professeur en management, a popularisée dans les années 70 pour désigner les tâches, enjeux ou responsabilités auxquels nous faisons face.
Nous avons, vous avez tous, quantité de singes sur votre dos. C’est encore plus vrai pour un entrepreneur, que vous lanciez votre entreprise, qu’elle soit en difficulté ou qu’elle accélère.

Mais là se joue quelque chose de différent : dans vos interactions quotidiennes, il est fréquent que les singes passent d’une épaule à la vôtre. A raison parfois, car vous êtes central dans votre entreprise, mais bien souvent faute d’une attention suffisante. Chaque fois qu’un collaborateur vous confie un sujet, c’est un singe qui prend place sur votre épaule : c’est sur vous que porte la responsabilité de l’action suivante.

En reprenant notre histoire : :
• Mélanie attend que vous lui partagiez le fruit de votre réflexion,
• Karim n’agira pas tant que vous ne serez pas passé le voir,
• Paul aura compris que faute d’une nouvelle discussion, il vaut mieux attendre.

En plus de ceux que vous portez naturellement, vous pouvez en clin d’œil vous retrouvez surchargé. Vous devenez un véritable arbre à singes.

Le temps sous contrôle : deux types de temps

William Oncken propose au départ une réflexion sur le temps. En adaptant son propos à l’entrepreneur, on distingue deux types de temps dans la gestion d’une entreprise :

  1. Le temps imposé : Ce sont toutes les demandes incontournables de votre environnement (comité stratégique, conseil d’administration, etc.) ou des contraintes extérieures, juridiques notamment. Une absence de réponse induit des sanctions, même si celles-ci ne semblent pas nécessairement directes ou immédiates.
  2. Le temps sous contrôle direct, celui des actions que vous initiez. La maîtrise de votre temps passe par la gestion de ce qui est à votre main (par opposition au temps imposé, qui ne peut être négligé). Il se divise en deux catégories :
    • le temps discrétionnaire : celui que vous pouvez utiliser à votre convenance. Ce temps peut être organisé selon l’urgence et l’importance des tâches (cf. la matrice d’Eisenhower). L’idée est de ne pas vous laisser submerger par des problèmes annexes et de savoir allouer du temps à l’essentiel.
    • le temps régi par vos collaborateurs et leurs actions.

Qui travaille pour qui ?

Ce temps régi par les collaborateurs vous renvoie à une question subtile et souvent peu comprise : dans votre organisation, qui travaille pour qui ?

C’est bien LA QUESTION. Celle à vous poser avant d’avancer plus loin. Pour cela, vous pouvez :

  • Revisiter votre agenda de la semaine passée afin de vous faire une idée du temps consacré à ces singes qui ne sont pas les vôtres. Et qui sont passés sur votre épaule à l’improviste. Où vous vous retrouvez à traiter, au moins pour partie, le problème d’un autre.
  • Consciemment ou non, certains problèmes à traiter semblent partagés : le singe s’appuie sur deux épaules à la fois. Bien souvent, dans ce cas, il est en fait le vôtre. Vous venez d’enrichir votre ménagerie personnelle d’un nouveau pensionnaire. Et votre collaborateur attend votre retour, sans que vous ne le mesuriez vraiment.

Une fois ce travail fait, vous devez apprendre à travailler selon deux axes :
• Renvoyer les singes sur les bonnes épaules,
• Nourrir les singes de ses collaborateurs, sans en récupérer la charge.

Renvoyer les singes à leur propriétaire

La première étape va être de réduire la ménagerie existante : il vous faut rendre à leurs propriétaires chacun de singes présents sur vos épaules. Vos équipes reprendront ainsi la responsabilité de leurs propres tâches.

Commencez par planifier des entretiens formels avec vos collaborateurs. Cela ne peut se faire entre deux portes ou dans un couloir. Lors de chacun des entretiens, choisissez un singe à évoquer et installez-le sur le bureau. L’objectif de la rencontre sera de chercher ensemble quelle est la prochaine démarche à effectuer, en en laissant la responsabilité au collaborateur.

La démarche n’est jamais simple, et beaucoup de singes sont rétifs à cette approche. Oncken suggère une piste pour les plus difficiles : décider de le laisser dormir une ou plusieurs nuits, sous la responsabilité du collaborateur. Pour ensuite reprendre le sujet ensemble et voir comment avancer.

Pour aider le collaborateur, le mieux est de le questionner pour l’accompagner à trouver lui-même les solutions. Parmi les questions possibles :
• Quelle est votre analyse du problème ?
• Quelles sont les avis des autres personnes concernées par le problème ?
• Quelles pistes de solutions avez-vous en tête ?
• Que vous ont conseillés vos collègues qui ont pu faire face à un sujet similaire ?

Cette étape représente un investissement nécessaire. Prendre le temps d’agir ainsi est un outil essentiel au développement de vos équipes, un puissant levier pour les accompagner dans leur progression et l’acquisition d’une plus grande autonomie.

Nourrir les singes de ses collaborateurs en clarifiant les responsabilités de chacun

Une fois les singes renvoyés chez eux, il vous est nécessaire de prendre l’habitude de ne plus attraper de singe à la volée. Cela passe par une clarification des responsabilités au sein de votre équipe si besoin.

L’autonomie dans l’action et la résolution des obstacles rencontrés par vos collaborateurs est essentielle pour vous permettre de faire face à vos propres responsabilités et tâches. Vous devez travailler à la favoriser chez chacune des personnes qui vous entourent. Cette autonomie est par ailleurs un puissant facteur de motivation et d’engagement dans le travail, trop souvent oublié par le management.

Veillez donc à donner à chacun les moyens de prendre des décisions et de résoudre les problèmes de manière autonome. Tout en veillant à rester disponible en cas de problème inédit.

Voici quelques règles pratiques pour gérer les « singes » et éviter qu’ils ne finissent sur votre épaule :

  1. Les singes doivent être nourris : Le questionnement évoqué plus haut y vous y aidera.
  2. Sur rendez-vous : On ne nourrit un singe qu’en prenant un moment planifié pour en discuter avec votre collaborateur. Cela permet d’identifier ce qui relève de la responsabilité du demandeur et de compléter les informations dont il a besoin. L’objectif est de sortir avec une décision et un responsable de la prochaine étape.
  3. En 15 minutes : Si un collaborateur vous demande de l’aide pour un problème, cadrez le temps de la discussion. Si cela dure plus de 15 minutes, c’est probablement que le problème n’est pas sur la bonne épaule, ou que le travail de préparation n’a pas été suffisant.
  4. Faire preuve de clarté : Chaque fois qu’un collaborateur quitte votre bureau, il doit avoir une tâche claire à accomplir. Il doit savoir exactement ce qu’il doit faire, à quel moment, et pourquoi.

Éviter les « singes orphelins »

Il arrive parfois qu’un problème n’ait pas de responsable clairement désigné et qu’il flotte dans l’entreprise sans que personne ne s’en saisissent vraiment. On peut les appeler des singes orphelins. Si vous en constatez, ne les laissez pas vagabonder : il est crucial de déterminer rapidement qui doit en avoir la responsabilité. Faute de quoi, il faudra considérer une solution externe, une formation ou un recrutement.

Le rôle clé de la confiance et de la délégation

Gérer les singes, c’est avant tout une question de délégation et de confiance, en vue d’une autonomie croissante de vos collaborateurs. En leur permettant de résoudre leurs propres problèmes, vous leur montrez que vous avez confiance en leurs capacités. À terme, cela renforce la responsabilité collective et améliore l’efficacité globale de l’équipe.

En tant qu’entrepreneur ou manager, il est crucial de savoir gérer le flot de demandes et de problèmes qui vous arrivent au quotidien. Plutôt que de vous laisser submerger, la métaphore du singe vous invite à prendre du recul et à remettre les responsabilités à ceux qui en sont réellement chargés.

Gérer les singes n’est pas facile, mais c’est un investissement nécessaire. Avec pour résultat de retrouver le contrôle de votre temps, en évitant de crouler sous des tâches qui ne vous concernent pas.


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Photo by Jamie Haughton on Unsplash

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